vetfutursfrance.fr

Exercer comme collaborateur libéral : opportunités et défis pour les vétérinaires aujourd’hui

22 juillet 2025

Comprendre le statut de collaborateur libéral en secteur vétérinaire

Le statut de collaborateur libéral a une histoire récente dans le monde vétérinaire français. Créé à l’origine pour les professions réglementées, il s’est véritablement imposé dans nos cliniques au tournant des années 2000, notamment avec l’évolution de la démographie vétérinaire et la mutation des modèles économiques des structures (source : Ordre National des Vétérinaires). Il s’inscrit entre le salariat classique et l’installation purement libérale en tant qu’associé. Le collaborateur libéral exerce en toute autonomie, mais au sein d’une structure sans en être associé, selon un contrat spécifique.

Selon l’Ordre des Vétérinaires, près de 19% des vétérinaires praticiens exerçaient sous ce statut en 2023, en hausse ces dernières années, notamment en canine. Pour les professionnels comme pour les structures, la tentation est forte, mais le statut n’est pas sans zones de flou ou d’écueils. Quels sont alors les véritables avantages et limites de ce choix ? Décryptage terrain, chiffres et perspectives.

Liberté professionnelle et autonomie : valeurs clés du collaborateur libéral

Un des attraits majeurs du statut réside dans son autonomie. Le collaborateur libéral est juridiquement indépendant : il organise librement son temps de travail, peut refuser des actes, et n’est pas soumis à un lien de subordination.

  • Horaires : Négociables, pouvant permettre d’articuler plusieurs activités ou de moduler sa charge de travail (source : SNVEL, 2022).
  • Choix des actes : Le collaborateur n’est pas obligé d’accepter tous les actes confiés, tant que cela reste compatible avec les besoins du cabinet et les règles déontologiques.
  • Développements personnels : La possibilité de développer une clientèle propre dans certains contrats offre un potentiel d’évolution progressif vers l’association ou le remplacement.

Cette liberté, cependant, reste encadrée par le contrat de collaboration, ce qui suppose que les modalités soient clairement définies et acceptées par les deux parties.

Cadre fiscal et social : un équilibre parfois délicat

Le collaborateur libéral est un professionnel indépendant, avec les bénéfices (et les contraintes) du régime fiscal des Bénéfices Non Commerciaux (BNC) et de l’affiliation à la CARPV (Caisse Autonome de Retraite et de Prévoyance des Vétérinaires).

  • Fiscalité : Les revenus sont déclarés en BNC. Le vétérinaire gère lui-même sa comptabilité et peut déduire ses charges (déplacement, matériel, formation) ce qui favorise parfois une meilleure optimisation fiscale qu’en tant que salarié. Toutefois, le collaborateur ne bénéficie pas d’avantages sociaux du salariat : pas de congés payés ni d’assurance chômage.
  • Protection sociale : Moins favorable que celle du salariat. Les indemnités journalières, la prévoyance et la retraite dépendent des cotisations personnelles (environ 15% du revenu pour la CARPV, complétées par une prévoyance à souscrire). L’arrêt maladie ou la maternité sont donc moins couverts, ce qui expose davantage aux aléas de la vie professionnelle.

Selon le Conseil National de l’Ordre des Vétérinaires, une proportion croissante (plus de 20% en rural, et jusqu’à 30% en canine selon les grandes villes en 2023) de praticiens considèrent que la précarité sociale est le principal frein au passage à ce statut. À titre d’exemple, une maternité donne droit à 112 €/jour (Forfait CARPV 2024), quand le salaire maintenu d’un salarié est souvent supérieur pour une même période.

Responsabilités et obligations : les contreparties de l’indépendance

Le collaborateur libéral, par définition, supporte seul le risque professionnel : il souscrit sa propre Responsabilité Civile Professionnelle, et ne bénéficie pas de la protection du droit du travail en cas de conflit.

  1. Gestion de la clientèle : Le partage, la notion de clientèle propre, et les modalités de départ ou de remplacement sont des points de friction fréquents. Une jurisprudence récente (Cass. civ., 1ère, 4 mai 2022) rappelle que la non-transmission ou la captation de clientèle à la fin du contrat peut signer la nullité de certaines clauses.
  2. Risque financier : En cas de baisse d’activité, c’est au collaborateur de s’adapter, car il perçoit des honoraires variables et aucune garantie minimale, sauf clause spécifique négociée.
  3. Isolement juridique : Les litiges entre collaborateur et structure sont régis par le droit commercial, et non le droit du travail. Les coûts des procédures éventuelles sont donc à anticiper.
  4. Obligation de formation professionnelle continue : Les collaborateurs libéraux sont soumis à la même obligation de DPC (Développement Professionnel Continu) que tout praticien, à leur charge, sans prise en charge patronale par défaut.

Souplesse contractuelle : une opportunité… qui requiert vigilance

L’absence d’un code du travail strict rend le contrat à la fois souple (adapté aux besoins réels des parties) et risqué (par manque de modèle et d’encadrement précis). La négociation initiale est donc un moment clé. Les organisations professionnelles, comme le SNVEL, proposent des modèles de contrats, mais de nombreux praticiens témoignent des disparités d’un cabinet à l’autre.

  • Clauses clés à examiner attentivement :
    • Durée du préavis de rupture du contrat (souvent 1 à 3 mois).
    • Définition de la clientèle propre ou commune : impact majeur sur la suite de carrière.
    • Modalités de calcul et de paiement des honoraires : pourcentage, base, périodes creuses.
    • Interdiction de concurrence et mobilité : parfois trop vastes, alors que la jurisprudence encourage leur limitation géographique et temporelle (source : Légifrance).

Sur le terrain, on constate que certains abus peuvent persister : clauses léonines, préavis démesurés, absence de réciprocité sur les conditions de résiliation… Ce flou oblige à une vigilance constante, tant côté collaborateur que côté structure d’accueil.

Insertion et dynamique de carrière : lancement ou impasse ?

Choisir la collaboration libérale est souvent vu comme une étape avant l’association, voire un mode de vie professionnel stable pour ceux qui refusent les contraintes du salariat ou de la gestion d’entreprise. Sur cinq ans d’exercice, 41% des vétérinaires libéraux en collaboration passent à l’association ou au remplacement exclusif (APFORM, Chiffres 2022).

Du côté des employeurs, ce statut est perçu comme un levier de fidélisation et d’évolution interne. Mais les retours de terrain montrent que le sentiment d’appartenance à l’équipe peut pâtir de cet entre-deux : ni totalement membre du management, ni salarié classique, le collaborateur doit souvent s’imposer pour faire entendre sa voix dans les décisions.

Pour les jeunes diplômés, il permet d’acquérir une première expérience « libérale » en limitant l’investissement financier initial. Mais il peut maintenir dans une forme de précarité « à durée indéterminée » si perspectives d’association ou d’installation ne sont pas clairement discutées dès l’embauche.

Pourquoi le collaborateur libéral séduit (ou rebute) en 2024 : tendances et vécus

Du côté des vétérinaires, la quête de flexibilité, d’équilibre vie professionnelle/vie privée, et d’indépendance décisionnelle constituent de puissants moteurs. 64% des praticiens interrogés par le Syndicat National des Vétérinaires d’Exercice Libéral en 2023 citent « la liberté d’organisation » comme principal atout, loin devant la rémunération.

À l’inverse, les principaux motifs de rejet relèvent du « sentiment d’isolement juridique et social », du manque de filet de sécurité, et de la difficulté à se projeter sur le long terme, en particulier pour ceux qui souhaitent bâtir une carrière familiale ou s’installer durablement (source : enquête SNGTV 2023).

  • Pour les structures employeuses : Le statut séduit pour sa souplesse et le moindre coût des charges « patronales », mais suppose de réinventer les pratiques de management et la fidélisation de l’équipe.
  • Pour les collectivités rurales ou en tension : Il peut être une réponse partielle à la pénurie, mais ne règle pas les problèmes d’attractivité ou de surcharge de travail (évoqué dans la revue Pratique Vétérinaire Equine, 2023).

Des pays voisins comme la Belgique et la Suisse connaissent une évolution similaire, avec une progression de ces formes hybrides, mais la France reste marquée par une forte hétérogénéité régionale et sectorielle.

Le statut de collaborateur libéral, une solution à affiner : perspectives

Le collaborateur libéral s’est affirmé comme une alternative séduisante au duo salarié/associé, mais il ne convient pas à toutes les trajectoires. Sur le terrain, la réussite de ce statut dépend étroitement de la qualité du dialogue, de la transparence contractuelle et de la capacité de chaque structure à accompagner ses collaborateurs au-delà des simples obligations légales.

  • L’avenir proche verra sans doute s’intensifier le débat sur la protection sociale, la portabilité des droits (congés, prévoyance), et la clarification des modalités de rupture ou d’accès à l’association.
  • La capacité de la profession à inventer de nouveaux équilibres – pourquoi pas via des groupements, des outils mutualisés de gestion, ou de la formation à la négociation contractuelle – sera décisive pour que cette forme d’exercice reste porteuse, attractive et éthique.

La diversité des témoignages – des jeunes diplômés en quête d’autonomie, aux vétérinaires expérimentés qui choisissent la liberté jusqu’à la retraite – illustre la richesse et les paradoxes de ce statut. Dans une profession en quête de sens et de cohésion, le collaborateur libéral n’est ni un Graal, ni une fausse bonne idée : il est une voie possible, à condition de rester lucide et exigeant quant à son cadre et ses évolutions.

Pour aller plus loin

En savoir plus à ce sujet :