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Le vétérinaire, passeur de responsabilité : enjeux et réalités en France

12 octobre 2025

Repenser la mission du vétérinaire au XXIe siècle

La figure du vétérinaire s’est longtemps résumée, dans l’imaginaire collectif, à celle d’un soignant pour animaux, oscillant entre ruralité et animaux de compagnie. Pourtant, à mesure que notre société prend conscience de la place et du bien-être animal, la profession s’est vue confier une responsabilité éducative inédite. Aujourd’hui, le vétérinaire est autant un praticien qu’un formateur de la société à la responsabilité animale. En France, il n’est plus seulement question de soigner, mais d’accompagner la transformation culturelle qui encadre le rapport de l’humain à l’animal.

Une étude de l’IFOP pour Woopets (2022) révélait que 52% des Français estiment mal connaître la réglementation sur la possession d’un chien ou d’un chat. Ce déficit éducatif représente un enjeu majeur auquel vétérinaires, éducateurs et institutions sont confrontés, avec des conséquences réelles sur le bien-être animal et la cohésion sociale.

Responsabilité animale : de quoi parle-t-on ?

La responsabilité animale ne relève pas uniquement d’un ensemble de devoirs légaux, mais aussi – et surtout – d’une compétence éthique et pratique : être gardien d’un animal, c’est assumer l’ensemble de ses besoins physiologiques, émotionnels, sociaux, mais aussi anticiper leur impact sur l’environnement et la société.

  • Législation : La loi française, via l’article 515-14 du Code civil (modifié en 2015), reconnaît l’animal comme « être vivant doué de sensibilité ». Cette évolution juridique fait peser sur le propriétaire une responsabilité accrue – obligation de soins, lutte contre l’abandon, prévention des mauvais traitements.
  • Initiatives publiques : Depuis 2021, le plan gouvernemental contre la maltraitance animale multiplie les campagnes d’information visant à responsabiliser dès l’adoption, et propose notamment la création d’un certificat d’engagement et de connaissance obligatoire pour tout futur détenteur d’animal de compagnie.
  • Dimension sociétale : La société attend désormais du propriétaire qu’il anticipe et comprenne la diversité des besoins – alimentation, socialisation, dépense physique, prévention des pathologies comportementales – bien au-delà du simple « bien traiter ».

Le cœur du rôle éducatif vétérinaire : entre terrain, transmission et prévention

Sur le terrain, ce sont les vétérinaires qui, quotidiennement, tiennent un rôle central dans la diffusion des connaissances et des bonnes pratiques. Leur mission éducative s’exerce à de multiples niveaux, en dialogue direct ou indirect avec des publics variés.

Informer et accompagner les propriétaires d’animaux

  • Consultation et pédagogie : La salle de consultation devient un espace privilégié de sensibilisation. Au-delà des soins, chaque interaction est une occasion d’éduquer : choix des régimes alimentaires, vaccination, lutte contre la sédentarité ou conseils pour le comportement. D’après l’Ordre National des Vétérinaires, 8 visites sur 10 comportent un volet d’accompagnement éducatif sur la gestion quotidienne et l’environnement de vie de l’animal.
  • Prévention de l’abandon et des dérives : La France détient un triste record européen avec près de 100 000 abandons d’animaux domestiques par an (source : SPA), dont une part notable serait évitable par une meilleure anticipation des contraintes de la détention animale. Les vétérinaires, en première ligne lors des premiers vaccins et identifications, jouent un rôle clé dans le rappel des obligations et des responsabilités.
  • Éducation comportementale : Face à la recrudescence des troubles du comportement (agressivité, anxiété de séparation, destructions), les praticiens intègrent de plus en plus d’outils et de conseils issus de la médecine vétérinaire comportementale. L’AFVAC estime qu’en 2023, 25 % des consultations en médecine canine comportaient une dimension comportementale, preuve de la demande croissante des propriétaires.

Éduquer à la santé publique et à la cohabitation

  • Sensibilisation aux zoonoses : Crises récentes, grippe aviaire, rage importée ou émergence de la leishmaniose, rappellent que l’animal de compagnie constitue un pont entre santé animale, santé humaine et santé environnementale. Dans leurs conseils, les vétérinaires s’assurent que l’animal reste un membre de la famille sans devenir un facteur de risque pour la collectivité.
  • Gestion des risques en collectivité : La question des chiens catégorisés ou des chats errants place souvent le vétérinaire en médiateur entre détenteur, municipalité et voisins. Son expertise est sollicitée pour évaluer les contextes à risque mais aussi proposer des plans de prévention ou des protocoles d’éducation (évaluations comportementales, ateliers collectifs, etc.)

Actions hors clinique : terrain éducatif élargi pour la profession

L’éducation à la responsabilité animale passe aussi par des actions de terrain et des interventions hors des murs du cabinet. Les vétérinaires sont sollicités par des institutions scolaires, des collectivités et des associations, élargissant ainsi leur impact éducatif.

Sensibilisation en milieu scolaire

  • Programmes type « Un Vétérinaire à l’école » : Depuis une quinzaine d’années, des centaines de classes bénéficient chaque année d’interventions portées par l’Ordre des Vétérinaires, l’ONIRIS ou l’ENVA. L’objectif est double : enseigner le respect du vivant et prévenir la maltraitance par l’apprentissage précoce des besoins d’un animal. En 2023, ce sont près de 35 000 élèves qui ont été sensibilisés via ces dispositifs (source : ONIRIS).
  • Déconstruire les idées reçues : Les vétérinaires, en contact avec les plus jeunes, sont aussi des passeurs d’information contre les clichés (ex : « les NAC ne demandent que peu d’entretien », ou l’image faussée des besoins du chiot). Ces interventions participent à une meilleure construction du futur rapport à l’animal.

Engagement dans le tissu associatif et citoyen

  • Partenariats avec les refuges et associations : Les vétérinaires collaborent régulièrement à des campagnes d’information sur l’adoption responsable ou la prévention de l’abandon (ex : guides d’adoption, journées « portes ouvertes », ateliers pratiques).
  • Actions contre la maltraitance : Conseils juridiques, expertise lors de saisies ou d’enquêtes suite à des signalements, participation à la formation des policiers et des magistrats : la compétence vétérinaire est désormais prise en compte dans la chaîne de lutte contre la maltraitance animale.

Le certificat d’engagement et le virage réglementaire : une étape clef

L’entrée en vigueur, en octobre 2022, du certificat d’engagement et de connaissance constitue une avancée réglementaire marquante. Depuis cette date, tout nouvel acquéreur d’un animal de compagnie doit signer un document attestant qu’il a pris connaissance des besoins spécifiques de l’espèce et des conséquences à long terme. Les vétérinaires sont parmi les professionnels habilités à délivrer ce certificat : une mission supplémentaire, mais aussi la reconnaissance de leur expertise d’éducateurs.

  • Démarche fondée sur la pédagogie : La remise du certificat n’est pas qu’un acte administratif. Il nécessite d’expliquer, de contextualiser et d’adapter le discours, afin que l’engagement ne soit pas perçu comme une simple obligation légale mais comme la première pierre d’un parcours de propriétaire responsable.
  • Obstacles et limites : Une enquête menée en 2023 par la plateforme PETS.FR a mis en évidence que 14 % des détenteurs disaient avoir signé le certificat sans réellement avoir compris tous les points. Cela souligne la nécessité, pour les vétérinaires, de renouveler en permanence leur pédagogie et de s’adapter aux différents profils.

Formation et auto-éducation : les vétérinaires face à leurs propres défis

L’exigence éducative pesant aujourd’hui sur les vétérinaires appelle également à une montée en compétence spécifique. De plus en plus d’établissements vétérinaires et d’associations professionnelles intègrent à leur programme des modules de pédagogie, de communication et d’accompagnement au changement.

  • Formations continues : Selon une enquête du SNVEL de 2023, plus de 2 600 vétérinaires français ont suivi l’an dernier une formation dédiée à la relation client ou à l’éducation à la responsabilité animale, pour un total de 39 000 heures dispensées en 2023 sur ces thèmes.
  • Réseaux d’échanges de bonnes pratiques : Des initiatives telles que le réseau CAP Douleur ou le collectif « La Voix des Vétérinaires » proposent des fiches pratiques et des webinaires permettant à la profession de calibrer au mieux leur discours et leur posture éducative face à la diversité des attentes sociétales.

Regards croisés : pistes pour une éducation partagée et prospective

Le défi de l’éducation à la responsabilité animale ne saurait reposer sur la seule profession vétérinaire. S’il est évident que les praticiens incarnent une référence de confiance et de compétence, la réussite suppose un engagement collectif et des synergies multisectorielles :

  • Travailler avec les enseignants, éducateurs, collectivités lors de formations croisées et projets pédagogiques autour de la citoyenneté animale.
  • Favoriser la création et la diffusion de ressources numériques adaptés (vidéos pédagogiques, quiz interactifs, guides), pertinents pour tous les âges et pour toutes les familles de propriétaires.
  • Renforcer la visibilité du rôle vétérinaire sur les médias grand public, pour changer la perception d’un métier trop souvent résumé à une fonction technique alors qu’il investit pleinement le champ de la prévention et du conseil.
  • Poursuivre la réflexion éthique sur la notion même de responsabilité animale, à l’heure où les notions de bien-être évoluent avec l’apparition de nouveaux animaux de compagnie, mais aussi avec l’essor de l’intelligence artificielle et de la « digitalisation » du soin.

À l’heure où plus de 50 % des foyers français vivent avec au moins un animal domestique (source : FACCO/KANTAR 2022), la responsabilité animale s’impose comme un enjeu citoyen majeur. Le vétérinaire, parce qu’il conjugue expertise scientifique, contact de terrain et sens de la pédagogie, s’avère un acteur clé pour diffuser cette culture de la responsabilité et de l’empathie, au service de la santé animale comme du bien commun.

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