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Groupements vétérinaires : une mutation profonde du paysage des cliniques en France

28 juillet 2025

Une vague de regroupements : radiographie d’un phénomène qui s’accélère

Depuis une dizaine d’années, la profession vétérinaire française connaît une rapide transformation structurante : la multiplication des groupements de cliniques et l’arrivée de capitaux extérieurs. À la faveur de changements réglementaires et de nouvelles ambitions économiques, le modèle traditionnel du vétérinaire chef d’entreprise cède progressivement la place à des structures intégrées, dotées de moyens humains, techniques et financiers sans précédent. Ce mouvement, bien plus qu’un simple effet de mode, modifie en profondeur la pratique, la gouvernance et les conditions d’exercice du métier.

Si en 2010, on ne comptait qu’une poignée de chaînes telles que Anicura ou Univet, on estimait dès 2023 à plus de 25% des cliniques vétérinaires pour animaux de compagnie appartenant à des groupes ou en voie de l’être, selon l’Ordre National des Vétérinaires (source : Vetitude/ONV). Le phénomène touche surtout les établissements urbains et périurbains, mais s’étend progressivement vers les zones rurales, où la pression sur la relève et la pérennité des structures se fait sentir.

Quels sont les grands types de groupements ? Un paysage en recomposition

Pour comprendre la portée de ce mouvement, il est essentiel de distinguer les différents modèles de regroupements aujourd’hui à l’œuvre dans le secteur vétérinaire :

  • Les chaînes intégrées verticalement : Le modèle le plus visible, incarné par Anicura (acquis par le géant Mars Petcare), IVC Evidensia, VetOne, Univet, Argos, etc. Ces groupes rachètent la majorité du capital des cliniques, centralisent la gestion (RH, achats, communication) et imposent de nouveaux standards.
  • Les groupements coopératifs ou associatifs : Vetoquinol, Nomad Clinics, VetFamily, qui partagent des outils sans rachat de capital. L’objectif ici est de mutualiser les services (achats, formation, communication) tout en gardant l’indépendance clinique et juridique des membres.
  • Les réseaux indépendants : Plateformes conçues pour offrir des services mutualisés mais à la carte, sans intégration capitalistique. Ex : GIE, plateaux techniques partagés.

La physionomie du marché français illustre donc une diversité de dynamiques, nourries par des enjeux et des philosophies différentes.

Pourquoi cette financiarisation soudaine ? Un faisceau de causes exogènes et endogènes

La montée en puissance des groupements trouve sa source dans la convergence de multiples facteurs, internes à la profession comme liés à l’environnement sociétal et économique :

  1. Modification de la législation : Depuis 2017, la Loi autorise la détention du capital des sociétés d’exercice vétérinaire par des non-vétérinaires jusqu’à 49%, ouvrant la porte aux fonds d’investissement étrangers et nationaux (source : Ordre des vétérinaires).
  2. Attentes des jeunes diplômés : Les nouvelles générations manifestent un moindre attrait pour l’entrepreneuriat pur et la gestion d’entreprise. Ils recherchent davantage d’équilibre vie privée/vie professionnelle, de salariat, de formation, de mobilité.
  3. Difficultés de reprise : Près de 50% des cliniques rurales peinent à trouver un successeur (source : GIPSA, enquête 2022). Les groupements deviennent des « sorties » attractives pour les vétérinaires proches de la retraite.
  4. Dynamique du marché des animaux de compagnie : Les familles françaises comptent 23 millions de chiens et chats (Facco-Kantar, 2022), la demande augmente, la professionnalisation et l’industrialisation suivent.
  5. Hausse des coûts et complexité de la gestion : Les exigences techniques, réglementaires et managériales rendent la gestion en solo risquée et énergivore.
  6. Recherche de rentabilité et d’innovation : Les fonds misent sur la croissance prometteuse du marché vétérinaire (+4,6 % en 2022 sur le secteur des animaux de compagnie, selon ISNCA).

Impacts sur l’exercice quotidien : Le salarié supplante-t-il l’indépendant ?

Le développement rapide de ces réseaux modifie structurellement le statut vétérinaire. Les impacts les plus observés sont :

  • Bascule vers le salariat : Plus d’un quart des jeunes vétérinaires diplômés en 2022 ont choisi un poste salarié au sein d’un groupe (APV, 2023), alors qu’il y a dix ans, la majorité s’orientait vers l’association ou la reprise de clinique indépendante.
  • Conditions de travail et temps partiel : Certains groupements apportent une flexibilité jusque-là inédite (horaires, remplacements, garde partagée).
  • Accès à la formation continue : Les réseaux mutualisent l’accès à la formation (plateformes e-learning, séminaires internes, mentoring), parfois avec des budgets supérieurs à la moyenne du secteur (source : France Vétérinaire, enquête 2023).
  • Montée en gamme du plateau technique : Avec des moyens consolidés, les groupes investissent massivement dans l’imagerie de pointe, la chirurgie spécialisée, et le digital vétérinaire (ex. : télémédecine chez IVC).
  • Uniformisation des protocoles et des prix : L’un des effets les plus discutés ; certains professionnels jugent que cela peut nuire à la prise en compte des spécificités locales et complexes des cas cliniques.

Quelles inquiétudes et défis pour l’indépendance vétérinaire ?

L’essor des groupements suscite débats et réserves. Les craintes les plus fréquemment exprimées par les praticiens et les institutions professionnelles :

  • Érosion de la liberté thérapeutique : Certains vétérinaires s’inquiètent du risque d’une médecine sous influence des impératifs économiques, ou des « protocoles maison » dictés par la direction.
  • Standardisation de la pratique : La culture du « benchmark » interne, l’uniformisation des modes de facturation, ou la pression sur les « indicateurs de performance » peuvent heurter la pluralité des pratiques vétérinaires françaises (Source : Bulletin de l’Ordre, 2022).
  • Diminution de l’esprit entrepreneurial : Le passage massif au salariat inquiète une profession longtemps structurée sur l’autonomie et la passion du “patron praticien”.
  • Risque de désertification de certains territoires : Les regroupements se concentrent pour l’instant dans les zones économiquement dynamiques, au risque d’aggraver la fracture territoriale.
  • Transmission intergénérationnelle du savoir : Certains craignent que les logiques de rendement nuisent au compagnonnage et à la formation sur le terrain, jusque-là “informelle” mais précieuse.

Vers quelles évolutions ? Perspectives et scénarios d’avenir

La vague des groupements n’est sans doute qu’au début de son histoire, et la France est loin d’être un cas isolé : au Royaume-Uni, près de 60 % des cabinets relèvent déjà d’un groupe (source : RCVS 2022). Les prochaines années pourraient voir :

  • Consolidation du secteur avec le rachat de petites structures par des leaders européens ou américains, et la montée des fonds spécialisés vétérinaires comme Perwyn ou Synova.
  • Montée en puissance des réseaux « hybrides » qui combinent mutualisation d’outils et maintien de l’indépendance clinique (revalorisation de la gouvernance partagée, “soft management”).
  • Innovation organisationnelle : télétravail partiel, déploiement de la médecine préventive connectée, nouvelles formes de management (intrapreneuriat, véhicules d’intéressement au capital pour les jeunes vétérinaires salariés).
  • Discussion éthique et métier : La profession s’organise – à l’image des états généraux du CNOV 2023 – pour encadrer les pratiques et débattre du « juste milieu » entre performance économique et préservation de la vocation vétérinaire.

Le dialogue entre praticiens « historiques », jeunes diplômés, directions de groupes et patients/clients reste ouvert et essentiel pour inventer les équilibres durables du futur.

Plus loin que la concentration : place au débat sur la finalité des soins vétérinaires

Face à la montée en puissance de ces nouvelles organisations, la question de fond demeure : quel sens donner au soin vétérinaire à l’ère des grands groupes ? Offrir plus de moyens, d’innovation, de sécurité pour les praticiens, c’est certain. Mais la singularité du métier – ce lien de confiance local, cette écoute, cette adaptabilité – reste au cœur de ce qui fait la force et l’attractivité de la profession en France.

La tendance à la concentration oblige donc à repenser, en continu, la façon dont on partage la valeur, transmet la compétence, et décide des protocoles médicaux. Elle suscite aussi des initiatives locales et associatives, où des praticiens refusent la vente de leur clinique, misent sur la mutualisation sans perte d’autonomie, et innovent à leur manière dans l’organisation du travail et le service rendu à la société.

Un fait s’impose : la dynamique des groupements agit comme un révélateur et un accélérateur des défis de la profession, forçant chacun – du praticien en solo à la multinationale vétérinaire – à clarifier sa vision du soin, de la gouvernance et de sa place dans la société du vivant.

Sources :

  • Ordre National des Vétérinaires (ONV)
  • Facco-Kantar 2022 Chiffres animaux de compagnie
  • Association des Praticiens Vétérinaires (APV) enquête 2023
  • RCVS Survey 2022
  • Bulletin de l’Ordre des Vétérinaires
  • Vetitude, France Vétérinaire, ISNCA
  • GIPSA

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