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Sensibilités éthiques : un nouveau défi pour la profession vétérinaire en France

24 septembre 2025

Un métier confronté à la transformation des valeurs sociales

Le regard de la société sur les animaux et leur place auprès de l’homme a profondément évolué en France ces dernières décennies. Ce changement, bien au-delà d’un simple effet de mode, bouleverse la pratique vétérinaire quotidienne et impose une refonte de l’approche éthique des soignants animaliers. Comprendre les racines et les implications de cette mutation n’est pas qu’une posture intellectuelle : il s’agit d’anticiper pour mieux accompagner le vivant.

La montée en puissance de la « sentience » animale

Un virage marquant est intervenu avec la reconnaissance de la sensibilité animale dans le code civil français en 2015 (article 515-14). Ce texte traduit une attente forte de la société : l’animal n’est plus un simple bien meuble mais un être vivant doué de sensibilité. Cette évolution légale a eu des répercussions pratiques immédiates sur l’exercice du métier vétérinaire :

  • Devoir de prendre en compte la douleur animale dans tous les actes (cf. arrêté du 16 février 2010 sur la douleur animale : Legifrance).
  • Nouvelle gestion des situations complexes (euthanasie, soins palliatifs, actes à visée non curative).
  • Montée des attentes du public sur le bien-être animal en élevage, en refuge, mais aussi pour les animaux de compagnie.

Selon un sondage IFOP pour la Fondation 30 Millions d’Amis en 2023, 85% des Français souhaitent que les animaux bénéficient de meilleurs droits et d’une meilleure prise en compte de leur bien-être (Fondation 30 Millions d’Amis). Cette transformation de l’opinion publique crée un contexte inédit pour la profession.

L’irruption des questions de société dans la clinique

  • Végétarianisme, véganisme, débat sur la production animale : les choix alimentaires sont devenus des sujets d’échange (voire de tension) lors des consultations.
  • Rejet croissant de certaines pratiques jugées éthiquement discutables : mutilations « de convenance », expérimentation animale, sélection de races à risques (brachycéphales…).
  • Demande croissante de transparence, conseil sur la nutrition, la vaccination, l’impact environnemental. Un rapport du CNOV de 2022 souligne que 67% des vétérinaires déclarent être sollicités sur la question des conditions d’élevage et du bien-être hors contexte médical.

Pourquoi s’adapter : entre responsabilité, légitimité et pérennité

Ignorer ou minimiser ces évolutions reviendrait à fragiliser la profession, tant sur le plan de la confiance sociale que sur celui de l’efficacité médicale.

Préserver la légitimité du vétérinaire comme « tiers de confiance »

  • Au cœur de la relation homme-animal, le vétérinaire incarne la compétence, la neutralité… et l’écoute. Si le discours vétérinaire n’évolue pas, d’autres interlocuteurs — influenceurs, praticiens alternatifs, réseaux sociaux — risquent de supplanter ce rôle-clé.
  • L’essor du numérique fait émerger de nouveaux modes de relation (forums, téléconseil, réseaux sociaux), où la pédagogie vétérinaire est très attendue mais aussi mise à l’épreuve.

Répondre aux attentes éthiques : un gage de bien-être professionnel

La souffrance professionnelle liée à des décalages de valeurs entre vétérinaires et propriétaires d’animaux, ou à des injonctions contradictoires (soins, rentabilité, éthique), est devenue un enjeu de santé mentale pour la profession (Conseil national de l’Ordre des Vétérinaires, rapport 2021). En s’ouvrant à ces questions éthiques, les praticiens peuvent mieux anticiper, dialoguer et éviter le sentiment d’isolement.

Intégrer l’éthique pour accompagner l’évolution des pratiques

  • Médecine préventive : L’évolution des attentes encourage les vétérinaires à aller plus loin dans la prévention (lutte anti-douleur, enrichissement des milieux de vie, gestion du stress et de l’anxiété). On estime que 72% des consultations en cabinet concernent désormais des conseils sur la qualité de vie. (Syndicat National des Vétérinaires d’Exercice Libéral).
  • Soins palliatifs, gestion de la fin de vie : Plus grande demande du public pour des soins avancés et une information sur les alternatives à l’euthanasie « de convenance ».
  • Polyvalence et formation continue : L’éthique, désormais inscrite dans la formation initiale et continue (arrêté du 12 août 2020, Journal Officiel), s’impose progressivement comme fil conducteur au même titre que la compétence technique.

Les nouveaux territoires de l’éthique vétérinaire : exemples concrets du terrain

Les dilemmes de la prise en charge animale

  • La gestion des animaux errants : Le Grenelle contre les abandons, lancé en 2021, souligne l’urgence pour la profession vétérinaire d’articuler soins, gestion des populations animales et accompagnement sociétal — le tout avec une vision éthique partagée (sources : Ministère de l’Agriculture).
  • Lutte contre les mutilations : Les oreilles coupées, dégriffage, caudectomie non justifiée… sont légalement très encadrés (arrêté du 28 août 1991). Les vétérinaires sont sur la ligne de front, parfois face à la demande insistante de propriétaires mal informés ou sujets à la pression sociale.
  • Refus ou orientation alternative : Certains praticiens, face à des actes contraires à leur conscience éthique, préfèrent se désengager ou orienter les propriétaires vers des structures adaptées. Une attitude qui nécessite pédagogie, diplomatie et formation au dialogue.

Entre l’environnement, la santé publique et l’éthique

Le rapport du Conseil national de l’Ordre des Vétérinaires de 2023 insiste sur le rôle pivot du soignant animal dans l’interface entre santé animale, santé humaine (zoonoses…) et environnement. Quelques cas illustratifs :

  • Utilisation raisonnée des antibiotiques : Depuis le plan EcoAntibio lancé en 2012, la prescription vétérinaire d’antibiotiques a baissé de près de 43% en France (Ministère de l’Agriculture, rapport 2023). Un exemple où l’éthique rejoint la pratique pour répondre à un enjeu de société mondial.
  • Enjeux liés au climat et à la biodiversité : La profession commence à intégrer l’analyse de cycle de vie dans ses recommandations, du choix des traitements à la gestion des déchets médicaux, répondant ainsi à de nouvelles sensibilités environnementales.

Des solutions concrètes pour s’approprier ces transformations éthiques

Adapter la formation et la pratique

  1. Renforcer l’enseignement de l’éthique dès la formation initiale (cf. réforme des ENV en 2020), mais aussi via des modules de formation continue, séminaires, cas cliniques éthiques en groupe.
  2. Systématiser la discussion éthique dans les réunions d’équipe en clinique (gestion des cas complexes, consensus, retours d’expérience).
  3. Donner accès à des ressources professionnelles : guides pratiques de l’Ordre, cellules d’aide au dialogue en cas de conflits éthiques.

Ouvrir le dialogue avec la société

  • Informer le public avec pédagogie : comptes rendus sur la gestion de la douleur, brochures sur les soins palliatifs, participation à des conférences citoyennes.
  • Travailler en réseau avec les associations de protection animale, les universitaires, les décideurs politiques pour rester au plus près des évolutions sociétales.
  • Développer des outils de médiation et de concertation avec les propriétaires d’animaux, notamment dans les situations de désaccord.

Accompagner les vétérinaires vers la prise de recul

L’accompagnement psychologique et éthique (groupes de parole, supervision, accompagnement par des pairs) permet de prévenir isolement et burnout, en créant des espaces de réflexion et de partage sur ces enjeux souvent tabous.

Vers une médecine vétérinaire plus engagée, mais aussi plus humaine

L’adaptation aux nouvelles sensibilités éthiques n’est pas un effet de mode : elle est le reflet d’un métier à la croisée des crises écologiques, sociétales et scientifiques. Plus que jamais, la capacité des vétérinaires à intégrer ces attentes apparaît comme une opportunité de renforcer leur rôle de soignants du vivant… avec, à la clé, la possibilité de réinventer pour tous — animaux, humains, environnement — des pratiques plus justes, plus transparentes, plus responsables et plus solidaires.

Enfin, il reste essentiel d’ancrer ces évolutions dans la réalité quotidienne du terrain, en échangeant, en formant, en innovant… et en gardant ouvertes les portes du dialogue. L’éthique, loin d’être une donnée abstraite, s’incarne dans chaque acte, chaque parole, et chaque décision vétérinaire.

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