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Communiquer autrement : le défi des vétérinaires face aux évolutions de la société

8 octobre 2025

Une profession sous le regard du public : le contexte d'une mutation

Le métier vétérinaire traverse aujourd’hui des bouleversements majeurs. Si la dimension technique et le rapport de confiance avec les propriétaires d’animaux restent au cœur du quotidien, de nouvelles attentes sociales émergent désormais de toutes parts. Qu’il s’agisse de la protection animale, de la santé publique, du bien-être au travail ou encore de la transition écologique, les vétérinaires sont interpellés en tant qu’experts et citoyens. Ces demandes ne concernent plus seulement l’acte de soin : elles englobent le sens même du métier et sa place dans la société. La communication professionnelle, longtemps cantonnée à l’information purement médicale ou administrative, doit-elle alors s’adapter à cette nouvelle donne ?

L’actualité le confirme : polémiques sur la gestion de l’élevage, inquiétudes autour de la santé publique vétérinaire (zoonoses, usage d’antibiotiques), tensions sur l’engagement professionnel, multiplication des débats éthiques… En France, rare est la semaine sans que la voix des vétérinaires ne soit sollicitée dans l’espace public – et souvent critiquée pour son manque de lisibilité, voire d’ouverture (Le Monde, 2022 ; OPECST, Rapport “L’avenir du métier vétérinaire”, 2021).

Un métier en pleine recomposition sociale

Parler autrement du métier, ce n’est plus seulement une option mais une nécessité. Les chiffres sont sans appel :

  • Entre 2015 et 2022, le nombre de vétérinaires salariés en France a progressé de 52% (Observatoire National Démographie Vétérinaire, ONDV).
  • Près de 82% des Français considèrent que le vétérinaire joue un rôle déterminant en santé publique (IFOP, 2023).
  • Les réseaux sociaux vétérinaires totalisent aujourd’hui plusieurs millions d’abonnés cumulés, citoyen.ne.s et professionnels confondus (étude Mediaventilo, 2023).
  • 1 jeune vétérinaire sur 3 déclare s’interroger sur le sens et la finalité de son engagement quotidien (SNGTV, 2022).

Les attentes oscillent entre exigence de transparence, nécessité de dialogue et demande croissante de “positionnement sociétal”. On demande plus qu’une information technique : une prise de parole engagée, compréhensible, responsable – qui réponde aux enjeux concrets de notre époque.

Pourquoi ce besoin de repenser la communication vétérinaire ?

Trois facteurs majeurs expliquent aujourd’hui la nécessité de faire évoluer les pratiques :

  1. Montée des préoccupations sociétales autour du vivant :

    Le bien-être animal, les conditions d’élevage, la lutte contre l’antibiorésistance ou la transmission des zoonoses ne sont plus les préoccupations exclusives du cercle vétérinaire. Médias, ONG, politiques, citoyens s’expriment régulièrement sur ces thèmes – forçant les professionnels à se positionner publiquement.

  2. Complexification des débats et “infobésité” :

    Avec l’explosion des réseaux sociaux et du numérique, la désinformation circule toujours plus vite. Il ne suffit plus d’expliquer “ce qui est bon ou pas pour l’animal” : la parole vétérinaire doit être audible, pédagogique, et apte à dissiper les idées reçues.

  3. Mutation du rapport à la profession :

    La défiance vis-à-vis des corps professionnels progresse dans toute la société (Baromètre CEVIPOF 2023). Le vétérinaire n’échappe pas à la règle et doit gagner – ou regagner – la confiance du grand public sur des sujets sensibles : euthanasies, gestions de crise en filières animales, enjeux sanitaires globaux.

Quels écueils dans la communication vétérinaire actuelle ?

De nombreux professionnels partagent le constat d’un déficit de “lisibilité” auprès du grand public. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer :

  • Restriction à la sphère scientifique ou technique : Message difficilement compréhensible, réservé au public averti.
  • Communication “défensive” ou exclusivement réglementaire : Réaction aux attaques ou polémiques, rarement anticipation du débat.
  • Manque d’ouverture sur la diversité des métiers : L’imaginaire collectif associe le vétérinaire aux animaux domestiques (55% des reportages presse, IFOP 2022), mais oublie sa présence en élevage, inspection, enseignement, recherche ou enjeux globaux (One Health).
  • Peu de présence proactive sur les réseaux sociaux : Si certaines figures émergent, la profession reste globalement prudente à l’égard de ces outils, par crainte des dérapages ou d’un manque de contrôle du message.

Des exemples de communication adaptée : l’expérience étrangère et les pionniers français

Certains vétérinaires ou organismes ont déjà fait évoluer leur communication pour mieux intégrer les attentes de la société :

  • Au Royaume-Uni, la British Veterinary Association (BVA) a développé un programme de “Communication sur les enjeux éthiques”, mêlant vidéos pédagogiques à destination du public, tribunes dans la presse et réponses structurées aux ONG.
  • En France, plusieurs initiatives collectives (Vétos Entraide, Vétos de l’Ouest, SNGTV) multiplient les webinaires, FAQs ou campagnes en ligne pour vulgariser santé publique, gestion des crises en élevage, ou rôle du vétérinaire dans la société.
  • L’engagement individuel (exemples sur Instagram, TikTok ou podcasts tel que “Vétos & Vous”) permet de toucher des publics jeunes et d’aborder sans complexe des sujets tabous : mal-être vétérinaire, relation humaine/animal, enjeux écologiques, place des femmes dans la profession, etc.

Un constat traverse ces expériences : l’authenticité, l’ouverture et la capacité à incarner la diversité des pratiques remportent l’adhésion là où une communication institutionnelle très contrôlée suscite peu d’engagement.

Prendre position : un nouveau défi pour le vétérinaire ?

Sortir du “discours rassurant” pour assumer une parole nuancée sur les sujets qui fâchent paraît aujourd’hui inévitable. Nombre de vétérinaires sont confrontés dans leur pratique à des débats majeurs :

  • L’euthanasie et la souffrance animale
  • La certification des traitements en élevage
  • La pénurie de vétérinaires ruraux
  • La réalité du stress et du mal-être professionnel
  • La participation à la lutte contre le trafic d’animaux

Or, ces sujets sont rarement abordés sur la place publique sous l’angle humain et analytique. Seule une parole proactive, argumentée et accessible peut permettre de sortir du tabou, améliorer l’image du métier, et répondre à la curiosité (voire à la défiance) de la société.

Quels outils et quelles pistes concrètes ?

Repenser la communication ne veut pas dire “tout dire à tout moment”. Mais il existe aujourd’hui, pour les vétérinaires, des leviers concrets à mobiliser :

  • La formation à la communication : Inclure des modules sur la prise de parole publique, la gestion de crise, la vulgarisation scientifique et le débat contradictoire dès la formation initiale et continue (proposition inscrite au rapport Villani sur l’évolution des études vétérinaires, 2022).
  • La présence sur les réseaux sociaux : Valoriser les contenus “coulisses” du métier, expliquer les décisions difficiles, mettre en avant la pluralité des terrains d’intervention (cabinet, élevage, santé publique…).
  • Travailler avec les médias : Entretenir des relations régulières avec la presse généraliste pour garantir la fiabilité de l’information relayée lors des crises sanitaires ou des polémiques.
  • Collaborer avec les autres acteurs du vivant : Associations, scientifiques, enseignants ou institutions publiques pour bâtir des messages communs orientés “One Health”.
  • Rendre publics les engagements éthiques : Publier charte, engagements, protocoles ou retours d’expériences en matière de bien-être animal, de lutte contre la souffrance au travail, ou d’innovation écologique.

Quel impact sur l’avenir de la profession ?

Ouvrir la parole vétérinaire n’est pas un luxe. Dans un contexte de pénurie de médecins-vétérinaires en zones rurales (estimée à -13% d’effectifs dans certaines régions en 2022, ONDV), il s’agit d’un levier d’attractivité pour de nouveaux profils. C’est aussi un moyen de renforcer le lien de confiance avec les éleveurs, les familles, les collectivités et l’ensemble des partenaires concernés. Enfin, c’est une façon de témoigner du quotidien, du soutien entre pairs et des difficultés rencontrées, et ainsi rompre l’isolement parfois ressenti. Ce dialogue renouvelé peut aussi constituer une réponse aux crises de vocation observées chez les jeunes diplômés : offrir du sens, croiser les regards, affirmer la place indispensable du vétérinaire au cœur des transitions contemporaines.

Pour une communication partagée et ouverte

Face aux bouleversements sociétaux actuels, les vétérinaires ne peuvent plus se contenter d'une communication descendante ou purement technique. Prendre la parole sur les réseaux sociaux, s'impliquer dans le débat public, valoriser la diversité du métier, oser la pédagogie sur des sujets délicats : ce sont autant de défis à relever collectivement, dans un esprit d’ouverture et de responsabilité. En repensant leurs modes de communication, les vétérinaires ont l’opportunité de renforcer leur utilité sociale, d’inspirer les nouvelles générations et de bâtir avec tous les acteurs du vivant un dialogue constructif et durable. L’avenir du métier passe, aussi, par la capacité à faire entendre une parole engagée, honnête et tournée vers la société tout entière.

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